Corpulence des enfants et des adultes en France métropolitaine en 2015. Résultats de l’étude Esteban et évolution depuis 2006

// Children and adults body mass index in France in 2015. Results of the Esteban study and trends since 2006

Charlotte Verdot, Marion Torres, Benoît Salanave, Valérie Deschamps (valerie.deschamps@univ-paris13.fr)
Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Esen), Santé publique France, Université Paris 13, Centre de recherche Épidémiologie et statistique, COMUE Sorbonne-Paris-Cité, Bobigny, France
Soumis le 19.05.2017 // Date of submission: 05.19.2017
Mots-clés : Surpoids | Obésité | Enfants | Adultes | France
Keywords: Overweight | Obesity | Children | Adults | France

Résumé

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’obésité a atteint les proportions d’une épidémie mondiale conduisant à une augmentation des maladies chroniques associées. Par conséquent, il est nécessaire de promouvoir des politiques de santé publique pour réduire ce phénomène. C’est l’un des objectifs du Programme national nutrition santé (PNNS), mis en place en 2001 par le ministère de la Santé. Cet article décrit l’évolution de la corpulence des enfants et adultes (6-74 ans) en France entre 2006 et 2015 à partir de deux études nationales transversales constituées par un plan de sondage probabiliste à trois degrés : ENNS-2006 (N=3 566) et Esteban-2015 (N=3 702).

Les données anthropométriques ont été mesurées au moyen de procédures standardisées selon les recommandations de l’OMS. La comparaison 2006-2015 indique une stabilité du surpoids et de l’obésité en France chez les adultes et les enfants. En 2015, chez les adultes, la prévalence du surpoids (obésité incluse) était de 54% chez les hommes et 44% chez les femmes, et l’obésité atteignait 17%, sans évolution depuis 10 ans (prévalence du surpoids=49% dans les deux études). En 2015, chez les enfants, cette prévalence était de 16% chez les garçons et 18% chez les filles, sans évolution significative depuis 2006. La prévalence de la maigreur augmentait significativement et atteignait 13% en 2015.

Malgré sa stabilisation sur 10 ans, la prévalence du surpoids et de l’obésité reste importante, ce qui requiert des politiques publiques ambitieuses pour en inverser la tendance et réduire ses effets sur la santé.

Abstract

According to the World Health Organization (WHO), overweight and obesity are becoming worldwide epidemics, leading to an increase of associated chronic diseases. Therefore, it is necessary to promote public health policies to reduce this burden. It is one of the objectives of the French National Nutrition and Health Programme (PNNS) developed since 2001 by the Ministry of Health. This paper describes the nutritional status (body mass index) among children and adults (6-74 years) in France between 2006 and 2015. Data from two cross-sectional population-based surveys, using a multistage sampling design, were used: ENNS-2006 (n=3,566) and Esteban-2015 (n=3,702).

Anthropometry was measured according to standardized procedures from WHO recommendations. The 2006-2015 comparison shows a stability of overweight and obesity in France in adults and children. In 2015 in adults, prevalence of overweight (including obesity) was 54% in men and 44% in women, and obesity reached 17% without any evolution since 10 years (prevalence of overweight=49% in both studies). In 2015 in children, this prevalence was 16% in boys and 18% in girls without any significant evolution since 2006. The prevalence of thinness increased significantly and reached 13% in 2015.

Despite its stable rate for 10 years, the prevalence of overweight and obesity remains important. Nutritional status requires ambitious public policies to reverse the trend and reduce the incidence of overweight on health.

Introduction

La nutrition est un déterminant majeur de la santé, notamment en termes de morbidité et de mortalité 1. Les consommations alimentaires, l’activité physique et la sédentarité, ainsi que les marqueurs de l’état nutritionnel sont des facteurs de risque ou de protection de nombreuses maladies chroniques qui concernent une grande part de la population, en France comme dans de nombreux pays.

Le surpoids et l’obésité constituent un facteur de risque majeur pour les maladies cardiovasculaires, le diabète, les troubles musculo-squelettiques et certains cancers 2,3,4,5,6. Ils augmentent par ailleurs le risque de décès prématuré et les incapacités à l’âge adulte 7,8,9,10. Les coûts humains, sanitaires, sociaux et économiques associés sont ainsi considérables 11,12.

En 2014, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids dans le monde, parmi lesquels plus de 600 millions étaient obèses. La prévalence de l’obésité a doublé depuis 1980 et actuellement, 2,8 millions de personnes au moins décèdent chaque année du fait de leur surpoids ou de leur obésité 13. Ce fléau autrefois circonscrit aux pays développés s’est aujourd’hui généralisé à l’ensemble des pays. La situation française ne fait pas exception, puisque la prévalence de l’obésité y était estimée à 17% en 2006 14.

Cette situation n’est toutefois pas inéluctable. En effet, le surpoids et l’obésité étant principalement dus à un déséquilibre énergétique entre calories consommées et dépensées, il est possible d’enrayer ce phénomène (et les difficultés qui en découlent) en adoptant une alimentation saine et la pratique d’une activité physique régulière. Ainsi, depuis 2004 et la publication d’une « Stratégie mondiale pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé » 1, l’OMS a publié de nombreuses recommandations qui ont été reprises et déclinées aux niveaux mondial, régional et local. En France, cela s’est traduit par la mise en œuvre, en 2001, du Programme national nutrition santé (PNNS), qui vise à améliorer la santé de la population par des actions et des mesures nutritionnelles 15,16. Ce programme a été reconduit en 2006 (PNNS 2), puis en 2011 (PNNS 3) et sa 4e édition est en cours d’élaboration par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

Un des objectifs prioritaires du PNNS est de réduire la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les adultes et les enfants en France. Cela nécessite de connaître précisément la situation nationale et de pouvoir en suivre l’évolution au cours du temps. Pour ce faire, le PNNS s’appuie sur des études nationales permettant de produire des données représentatives de la situation française. C’est dans ce cadre que l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) a été réalisée en 2006 17. Elle a permis de décrire la situation nutritionnelle française (consommations alimentaires, état nutritionnel et activité physique) au regard des indicateurs d’objectif du PNNS et de ses repères de consommation. Elle a été reconduite en 2014-2016, dans le cadre du volet nutritionnel de l’étude Esteban (Étude de SanTé sur l’Environnement, la Biosurveillance, l’Activité physique et la Nutrition) afin de disposer de données fiables d’évolution de la situation en matière de surveillance nutritionnelle. Cet article présente, à partir des résultats d’ENNS et d’Esteban, l’évolution de la corpulence chez les enfants et les adultes au cours de la décennie 2006-2015.

Méthode

Présentation générale des études de surveillance nutritionnelle

Les études ENNS-2006 et Esteban-2015 constituent la base du dispositif de surveillance nutritionnelle en population générale en France.

À ce titre, les protocoles et méthodologies de mesures ont été établis en intégrant la nécessité de disposer de données comparables dans le temps. En 2006 comme en 2015, il s’agissait d’études transversales en population générale, dont la population-cible était celle des adultes de 18 à 74 ans et des enfants de 6 à 17 ans, résidant dans des ménages ordinaires en France métropolitaine (hors Corse), l’étude ENNS ayant également intégré des enfants de 3 à 5 ans. L’inclusion des participants s’est déroulée en quatre vagues successives de durées égales, afin de prendre en compte la saisonnalité de l’alimentation et des expositions environnementales, de 2006 à 2007 pour ENNS et de 2014 à 2016 pour Esteban. Le plan de sondage était probabiliste à trois degrés, basé sur un échantillon d’unités primaires (stratifiées en fonction de la région et du degré d’urbanisation), un tirage au sort des ménages par échantillonnage téléphonique et la sélection d’un individu tiré au sort parmi les membres éligibles du ménage. Le protocole de l’étude incluait une enquête par questionnaires, la réalisation d’une enquête alimentaire, la passation d’auto-questionnaires et la réalisation d’un examen de santé avec des prélèvements biologiques. Une présentation détaillée du protocole et des aspects opérationnels de la réalisation de ces études (dont le taux de participation et les caractéristiques des participants) est disponible dans des articles spécifiques 14,17,18.

Ces deux études ont obtenu les autorisations requises : avis favorables du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS), de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et du Comité de protection des personnes (CPP).

Mesures anthropométriques

Dans les deux études (ENNS-2006 et Esteban-2015), la corpulence a été décrite sur la base des données recueillies lors de l’examen de santé réalisé à domicile pour les enfants et, pour les adultes, soit dans un centre d’examen de santé (CES) de l’Assurance maladie soit à domicile. Dans ENNS-2006, l’examen a été réalisé par une diététicienne lorsqu’il se déroulait à domicile et par un infirmier diplômé d’état (IDE) dans les CES. Dans Esteban-2015, quel que soit son lieu de réalisation (domicile ou CES), l’examen de santé a été réalisé par un IDE. Chaque participant a été pesé et mesuré au moyen de pèse-personnes et de toises dédiés spécifiquement à l’enquête et selon des procédures standardisées.

Analyse des données

La corpulence a été estimée par la mesure de l’indice de masse corporelle (IMC), calculé selon la formule suivante : poids en kg/taille2 en m. Les valeurs de référence utilisées pour interpréter les données de corpulence chez les adultes (en termes de classification) sont celles préconisées par l’OMS 19. Chez les enfants, la corpulence a été estimée selon les seuils révisés en 2012 de l’International Obesity Task Force (IOTF) 20. Les seuils et valeurs de référence sont donnés dans le tableau ci-après.

L’analyse des données de 2015 porte sur un total de 2 467 adultes (femmes enceintes exclues) et 1 099 enfants, pour lesquels des mesures de poids et de taille étaient disponibles et non-aberrantes. Les analyses ont été réalisées sur des données pondérées et redressées à l’aide du logiciel Stata14®. Les variables utilisées pour le redressement comprenaient des variables sociodémographiques (âge, sexe, diplôme, composition du ménage) et la saison à laquelle l’individu était enquêté. Le plan de sondage complexe de l’étude a été pris en compte en particulier dans l’estimation des variances et des intervalles de confiance à 95% [IC95%] en utilisant la fonction « svyset » sous Stata.

Pour rendre compte de l’évolution de la corpulence entre 2006 et 2015, les données de l’étude Esteban-2015 ont été comparées à celles de l’étude ENNS-2006, qui portait sur un échantillon national représentatif de 2 388 adultes (de 18 à 74 ans) et 1 358 enfants (de 6 à 17 ans) pour le volet clinico-biologique. Chez les enfants, la prévalence de la maigreur, celle du surpoids et celle de l’obésité ont été recalculées pour Esteban en utilisant les seuils IOTF-2012 calés sur la demi-année (et non sur l’âge en mois), de façon à permettre la comparaison avec ENNS dans laquelle l’âge en mois au moment des mesures de poids et de taille des enfants n’était pas toujours disponible. Enfin, les évolutions statistiquement significatives ont été confirmées par standardisation des données ENNS sur les caractéristiques de la population d’Esteban, afin de s’affranchir d’un éventuel effet de l’évolution du profil de la population au cours de la dernière décennie. Cette standardisation des données ENNS a été réalisée par le calcul d’un nouveau jeu de pondérations pour ENNS, recalculées selon les mêmes principes de redressement et avec les mêmes données de calage que ceux d’Esteban. Les différences statistiquement significatives issues de cette standardisation sont indiquées par une p-value standardisée (ps).

Tableau : Valeurs de référence utilisées pour la classification de la corpulence dans l’étude Esteban-2015, France
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Résultats

Corpulence des adultes dans Esteban-2015

L’IMC moyen des adultes de 18 à 74 ans était de 25,8 kg/m2 [25,5-26,1] en 2015 (26,0 kg/m2 [25,7-26,4] chez les hommes et 25,7 kg/m2 [25,2-26,1] chez les femmes), situant la corpulence moyenne de la population dans la zone du surpoids. Au total, près de la moitié des adultes (49,0% [46,4-51,6]) étaient en surpoids ou obèses en 2015. Cela concernait 53,9% [50,0-57,8] des hommes et 44,2% [40,7-47,8] des femmes, tous âges confondus (différence significative en fonction du sexe : p<0,001). La prévalence de l’obésité s’élevait à 17,2% [15,2-19,3]. La proportion d’adultes obèses était identique chez les hommes (16,8% [14,2-20,0]) et chez les femmes (17,4% [14,8-20,4]). Les trois quarts des personnes obèses (73%) présentaient une obésité dite modérée (30,0≤ IMC <35,0).

La prévalence du surpoids (obésité incluse) augmentait avec l’âge (p<0,001), avec toutefois une stabilisation dès 40 ans chez les femmes. Elle atteignait ainsi 68,1% [62,4-73,4] chez les hommes et 49,8% [44,4-55,3] chez les femmes de 55-74 ans (figure 1). La prévalence de l’obésité était deux fois plus élevée chez les 55-74 ans que chez les 18-39 ans : 21,5% [17,2-26,6] vs 10,1% [6,2-16,2] chez les hommes (p<0,01) et 20,6% [16,4-25,5] vs 11,3% [7,4-17,1] chez les femmes (p<0,05). Quant à la prévalence de la maigreur, elle était de 4,4% [2,7-7,1] chez les 18-39 ans et diminuait ensuite pour rester inférieure à 2% dans les classes d’âge supérieures.

Figure 1 : Distribution de la corpulence des adultes de 18-74 ans selon le sexe et la classe d’âge, étude Esteban-2015, France
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Évolution de la corpulence des adultes depuis ENNS-2006

L’IMC moyen des adultes de 18-74 ans était de 25,6 kg/m2 [25,3-25,9] en 2006 (26,1 kg/m2 [25,7-26,5] chez les hommes et 25,1 kg/m2 [24,8-25,5] chez les femmes). La corpulence moyenne de la population adulte n’a pas connu d’évolution statistiquement significative ces 10 dernières années, l’IMC moyen mesuré dans l’étude Esteban-2015 étant comparable à celui mesuré dans l’étude ENNS-2006. La prévalence du surpoids (tous sexes confondus et obésité incluse) est restée stable. Elle était de 49,3% [46,4-52,1] en 2006 vs 49,0% [46,4-51,6] en 2015. Il en est de même de la prévalence de l’obésité, qui n’a pas connu d’évolution significative entre les deux études (16,9% [14,9-19,0] en 2006 vs 17,2% [15,2-19,3] 10 ans plus tard).

L’analyse de l’évolution en fonction du sexe indique une stabilisation de la prévalence du surpoids (obésité incluse) chez les hommes au cours de ces 10 années (prévalence de 57,1% [52,6-61,7] en 2006 vs 53,9 % [50,0-57,8] en 2015). Chez les hommes, seule la prévalence de la maigreur a connu une augmentation statistiquement significative, passant de 0,7% [0,2-1,8] en 2006 à 2,4% [1,3-4,1] en 2015 (ps<0,05) (figure 2). Chez les femmes, globalement, la corpulence a légèrement évolué entre ENNS-2006 et Esteban-2015 (ps<0,05). La prévalence de la maigreur a notamment diminué de 50% en 10 ans (ps<0,01) (figure 2).

Figure 2 : Distribution de la corpulence des adultes de 18-74 ans selon le sexe. Comparaison entre ENNS-2006 et Esteban-2015, France
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L’analyse de l’évolution de la corpulence en fonction des classes d’âge n’a pas relevé d’évolution significative chez les hommes. La tendance à une diminution de la prévalence du surpoids (toutefois non statistiquement significative) se retrouvait dans toutes les classes d’âge. Chez les femmes, la prévalence du surpoids (obésité incluse) a augmenté de près de 21% chez les 40-54 ans, passant de 41,2% [36,0-46,6] à 49,7% [43,7-55,7] 10 ans plus tard (ps<0,01). Elle a par contre diminué de 14% chez les femmes plus âgées, passant de 57,7% [52,5-62,6] en 2006 à 49,8% [44,4-55,3] en 2015 (ps<0,05). Enfin, la prévalence de l’obésité n’a pas connu d’évolution au cours de ces 10 années, quels que soient le sexe et les classes d’âge.

Corpulence des enfants dans Esteban-2015

Chez les enfants de 6-17 ans, la prévalence du surpoids (obésité incluse) s’élevait à 17,0% [14,0-20,4] en 2015 (15,9% [11,9-20,9] chez les garçons et 18,0% [14,1-22,8] chez les filles ; différence non significative). La prévalence de l’obésité était de 3,9% [2,5-6,0], sans différence significative entre garçons et filles. La prévalence de la maigreur était de 11,8% [8,5-16,1] chez les garçons et de 13,9% [10,3-18,6] chez les filles (différence là encore non significative). Dans plus de 80% des cas il s’agissait de maigreur de Grade 1.

La prévalence du surpoids (obésité incluse) chez les enfants ne variait pas de manière significative avec l’âge, quel que soit le sexe. Elle avait tendance à être supérieure chez les 11-14 ans (22,5% [15,3-31,9] pour les garçons et 19,8% [13,4-28,4] pour les filles) (figure 3), mais sans se différencier de manière statistiquement significative des autres classes d’âge. La prévalence de la maigreur avait tendance à augmenter avec l’âge chez les garçons (pour atteindre 14,6% [7,2-27,1] chez les 15-17 ans) et elle était de 19,5% [12,5-29,1] chez les filles de 11-14 ans (sans présenter toutefois de différence significative avec les autres classes d’âge). Les prévalences du surpoids, de l’obésité et de la maigreur ne différaient pas selon le sexe, quelle que soit la classe d’âge.

Figure 3 : Distribution de la corpulence des enfants de 6-17 ans selon le sexe et la classe d’âge, étude Esteban-2015, France
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Évolution de la corpulence des enfants depuis ENNS-2006

La prévalence du surpoids (obésité incluse) n’a pas évolué significativement entre ENNS-2006 et Esteban-2015, tant chez les garçons que chez les filles (figure 4). Elle est restée stable, passant de 17,6% [15,0-20,5] en 2006 à 16,9% [14,0-20,3] en 2015 (la prévalence de l’obésité étant égale à 3,3% [2,2-4,8] en 2006 et à 3,9% [2,5-6,0] 10 ans plus tard). La prévalence de la maigreur a, quant à elle, augmenté de manière significative chez les filles, passant de 8,0% [5,6-11,3] en 2006 à 14,0% [10,4-18,7] en 2015 (ps<0,01). Chez les garçons, cette augmentation (8,6% [5,8-12,5] vs 11,5% [8,3-15,6]) n’était pas significative (figure 4).

Figure 4 : Distribution de la corpulence des enfants de 6-17 ans selon le sexe. Comparaison entre ENNS-2006 et Esteban-2015, France
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L’analyse en fonction des classes d’âge n’a pas indiqué d’évolution significative du surpoids (obésité incluse), quel que soit le sexe. L’augmentation de la prévalence de la maigreur était quant à elle statistiquement significative chez les filles de 11-14 ans, passant de 4,3% [1,7-10,6] en 2006 à 19,6% [12,7-29,2] 10 ans plus tard (ps<0,001).

Discussion

L’étude Esteban-2015 fournit des informations récentes sur la corpulence des adultes et des enfants en France métropolitaine (hors Corse). L’objectif de cet article était d’étudier l’évolution de la corpulence de la population en France au cours de la dernière décennie, en comparant les données issues de deux études aux méthodologies similaires. ENNS-2006 et Esteban-2015 portent en effet sur des échantillons représentatifs de la population résidant en France, avec des protocoles comparables. Les estimations de prévalence du surpoids et de l’obésité, comme de la minceur, reposent sur des données anthropométriques mesurées de façon standardisée. Cette démarche permet d’éviter les problèmes de sous-estimation de la corpulence liés aux déclarations biaisées de poids (sous-estimé) et de taille (surestimée).

Chez les adultes, d’après les données mesurées dans l’étude Esteban, 54% des hommes et 44% des femmes étaient en surpoids ou obèses en 2015. Cette prévalence augmentait avec l’âge pour atteindre plus de deux hommes sur trois et près d’une femme sur deux chez les 55-74 ans. La prévalence de l’obésité était estimée à 17%, sans distinction entre hommes et femmes. Comparée aux prévalences disponibles en 2014 via l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et issues de données mesurées, la prévalence du surpoids (obésité incluse) observée en France dans Esteban-2015 était moins élevée qu’aux États-Unis, en Océanie et, pour l’Europe, qu’au Royaume-Uni ou en Hongrie, où cette prévalence atteignait plus de 60% 21. Elle était cependant supérieure à celle relevée dans certains pays d’Asie (Corée, Japon), où elle ne dépassait pas 30% de la population. En Europe, la prévalence de l’obésité (estimée à partir de données représentatives mesurées) était comprise entre 4,0% et 28,3% chez les hommes et entre 6,2% et 36,5% chez les femmes 22. Il existe une grande variation géographique, les pays les moins touchés étant ceux de l’Europe de l’Ouest et du Nord. La France se situe ainsi dans la moyenne des pays d’Europe occidentale.

Les résultats obtenus sur l’évolution de la corpulence des adultes entre ENNS-2006 et Esteban-2015 indiquent, de manière générale, une stabilisation du surpoids (obésité incluse) au cours de cette décennie. Cette prévalence est restée constante à 49%, et celle spécifique de l’obésité s’est maintenue à 17% pour l’ensemble de la population adulte. Si l’on se place dans la perspective des objectifs fixés par le HCSP en matière de corpulence dans le cadre du PNNS-3 (2011-2015), il était attendu de « stabiliser la prévalence de l’obésité et de réduire le surpoids chez les adultes ». La prévalence de l’obésité a bien été stabilisée, de même que celle du surpoids, qui n’a cependant pas connu de réduction significative. L’analyse plus précise de la corpulence en fonction du sexe et de l’âge des individus a toutefois indiqué quelques évolutions significatives, notamment : une augmentation de la prévalence de la maigreur chez les hommes et une diminution chez les femmes ; une augmentation du surpoids (obésité incluse) chez les femmes de 40-54 ans et une diminution chez celles de 55-74 ans. Les données du Global Burden of Disease de 2013 avaient déjà souligné un ralentissement de l’augmentation de l’obésité dans les pays développés depuis 2006 23. Bien que l’obésité continue d’augmenter dans le monde (notamment aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande) pour atteindre, selon les projections, 18% des hommes et plus de 21% des femmes d’ici 2025 24, on observe une tendance à une stabilisation entre 2006 et 2014 dans certains pays comme l’Irlande, le Royaume-Uni, le Luxembourg, la Corée et le Japon 24. Les données françaises, présentées dans cet article, rejoignent ainsi cette tendance générale.

Chez les enfants, d’après les données mesurées dans l’étude Esteban, 17% des enfants de 6-17 ans étaient en surpoids (obésité incluse) en 2015. Cette prévalence ne variait pas de façon significative, ni selon les classes d’âge, ni selon le sexe. Elle était supérieure à la prévalence européenne (13,0%) fournie par l’OMS en 2015 (issue toutefois de données mesurées ou déclarées, selon les pays) 25, mais restait comparable à celle obtenue dans une récente étude nationale en Belgique 26. La prévalence de l’obésité des enfants était estimée à 4% dans Esteban-2015, situant la France bien en-dessous du Canada ou des États-Unis par exemple, où cette prévalence dépassait largement les 10% 27. D’après les données de l’enquête Health Behaviour in School-aged Children (HBSC), la France figure ainsi dans les pays européens les moins concernés par l’obésité pour les garçons ; en revanche, elle se situe en position médiane pour les filles, parmi les 31 pays décrits 28. Selon les données collectées dans le cadre de l’initiative « Children Obesity Surveillance Initiative (COSI) » du bureau européen de l’OMS, la France se situe plutôt dans une situation favorable par rapport aux cinq pays concernés 29.

Les résultats obtenus concernant l’évolution de la corpulence des enfants entre 2006 et 2015 ont indiqué que la prévalence de la maigreur a significativement augmenté, passant de 8% à 13%, cette augmentation touchant principalement les filles de 11-14 ans. Le surpoids (obésité incluse) est resté stable sur la période, avec une prévalence estimée à 18% en 2006 et 17% en 2015 (l’obésité seule étant passée de 3% à 4%). Ainsi, si l’objectif fixé par le HCSP dans le cadre du PNNS-3, qui était de « diminuer la prévalence de l’obésité et du surpoids chez les enfants et les adolescents » n’a pas été atteint, sa stabilisation semble toutefois être confirmée. Cette tendance à la stabilisation a par ailleurs été décrite depuis 1999 dans certains pays 30,31. En France, l’étude « corpulence » menée en classes de CE1 et CE2 et réalisée par l’Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Esen, Santé publique France) avait également indiqué une stabilisation de la prévalence du surpoids et de l’obésité entre 2000 et 2007 chez les enfants de cette classe d’âge 32. Ces résultats ont été observés également dans les enquêtes de santé en milieu scolaire réalisées par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) 33. Les résultats d’Esteban-2015 viennent donc confirmer cette stabilisation en France.

Conclusion

Les résultats de l’étude Esteban-2015 rendent compte d’une prévalence élevée du surpoids (obésité incluse) tant chez les adultes que chez les enfants. Ces prévalences n’ont toutefois pas évolué de manière significative depuis 2006, témoignant d’une stabilité du surpoids et de l’obésité durant ces 10 années. Depuis la mise en place du PNNS, la France a été l’un des tous premiers pays au monde à montrer une tendance à la stabilisation de l’évolution du surpoids chez les enfants. Il semble, au regard des résultats présentés ici, que la situation se stabilise également chez les adultes. Ces résultats devront être complétés et commentés par l’analyse de l’évolution des indicateurs de consommations alimentaires, d’activité physique, de sédentarité et des autres marqueurs de l’état nutritionnel fournis par les dosages biologiques. De même, un éclairage à la lumière d’un gradient social permettra de prendre en compte d’éventuelles inégalités sociales de santé en matière de corpulence en France.

Remerciements

Les auteurs remercient l’équipe projet d’Esteban ainsi que l’ensemble des personnes ayant contribué au recueil des données anthropométriques utilisées dans le cadre des analyses présentées ici : les infirmiers, les diététiciennes et les centres d’examens de santé de la CnamTS.

Références

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Citer cet article

Verdot C, Torres M, Salanave B, Deschamps V. Corpulence des enfants et des adultes en France métropolitaine en 2015. Résultats de l’étude Esteban et évolution depuis 2006. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(13):234-41. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/13/2017_13_1.html